We are here : Nous aussi, part 1

Octobre 2013, Amsterdam

Il pleut dehors. Il fait gris aussi. Les mails s’accumulent, et ma liste de To Do aussi. Ne pas trop réfléchir, agripper un parapluie et sortir. Direction, Weteringschans 109. A peine un petit effort à pied, à deux pas du fameux Museumplein d’Amsterdam.

Wij Zijn Hier

A l’entrée, un gentil monsieur, victime de la révolution arabe de cette année. Je lui explique avec mon anglais accentué que j’étais là la semaine dernière, deux jours après l’arrivée des réfugiés politiques en demande de régularisation. J’ai fait un reportage et aujourd’hui je voudrais m’engager comme volontaire. Spécialement pour le groupe francophone. Voilà, le cadre est posé. Il me sourit et me montre les larges escaliers, ‘Bienvenue, 2ème étage’. Je le savais, Mamadou et mon  jeune guide m’avaient déjà présenté les lieux.

5 étages, chacun dédiés à une communauté linguistique. Les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Des matelas par terre, des cuisines, des sanitaires, le strict minimum dans une propreté incontestable.

J’arrive seule. Je vais vers le groupe d’homme le plus nombreux, reconnaît Mamadou, le salue, serre la main aux autres et commence à discuter des dernières nouvelles.

La police néerlandaise est là ce matin, deux policiers attablés à une table avec le représentant des volontaires et Oumar, le porte parole des 267 réfugiés installés ici. La discussion semble paisible, on sent les deux représentants de l’ordre un peu touchés, ils donnent des conseils pour ne pas déranger le voisinage. Des voisins contents leur permettront de ne pas subir l’intervention des forces de l’ordre. Tout le monde comprend. Les hommes m’observent, discrètement. Je lance mes ondes, mon sens de l’humain, je sens un respect énorme, un respect touchant. Mustapha m’offre du thé. Me pose des questions. D’où je viens ? Du Togo du côté de mon père, le pays lui est familier. Lui-même est originaire de Sierra Leone. Je connais bien ? Oui. Et est-ce que je suis le fameux joueur de foot ? Bein non, mon fils sûrement. Il communique avec les autres dans un dialecte commun entre le Mali, la Sierra Leone et la Guinée, le Malinké. Il prépare le thé. Méticuleusement, versant et reversant, ajustant le sucre. Des gestes précis. Me tend une tasse. Je sirote. Il est délicieux. Chacun savoure, parfois en silence. A ce moment là précis, je me sens chanceuse. Chanceuse de comprendre les codes, chanceuse de me sentir presque à Dakar pendant la cérémonie du thé vécue maintes fois. Chanceuse de les découvrir et de sentir cette force en chacun d’eux que jamais personne ne pourra leur prendre. Chanceuse.

Beaucoup de passage autour de nous. Une femme qui s’est cassée un pied et refait ses premiers pas. Tout le monde l’encourage, lui adresse une blague ou des félicitations : ‘Aujourd’hui est un grand jour pour toi’ lui dit-on. Elle rigole. L’ambiance est juste bonne. Les vibrations sont pures. C’est presque indescriptible. Mamadou s’excuse auprès de moi, il ne s’est pas encore lavé aujourd’hui et voudrait le faire sans tarder. C’est simple, direct, il s’éloigne. Arrive un autre homme, il nous dit bonjour, ses yeux semblent embarrassés, il s’assoit et ne parle pas tout de suite. Plus tard, j’apprendrais qu’il est lui aussi Guinéen, habite aux Pays-Bas depuis des années, et vient rendre visite. Comme moi.

Oumar est à présent parmi nous. En tant que porte parole du groupe francophone, il connaît tout le monde. Son point noir : les journalistes néerlandais. ‘Ils ne sont pas intéressés, ne sont pas venus depuis 1 an, le temps de notre exil. Et quand quelque chose paraît, c’est un tissu de bêtises’. Sa dernière interview s’est mal déroulée, le journaliste lui a demandé pourquoi il refusait de rentrer dans son pays, ‘il était arrogant et mal attentionné. Depuis, je ne veux plus que des journalistes pénètrent ici. La dernière fois par exemple, on nous a donné à chacun 250 euros. Nous sommes tous différents, avec des histoires et une culture différente. Alors voilà, plusieurs Somaliens et Erythréens ont tout de suite dépensé leur argent dans le quartier rouge. Et le lendemain, c’était la seule chose qui intéressait les journalistes. Je leur ai dit qu’ils devaient s’adresser à leur gouvernement, qui a permis à ces filles d’être en vitrine, pas aux clients.’ Devant mon air étonné de la scène entière, il me dit ‘tu sais, certains d’entre eux n’ont pas eu de sexe depuis des années’. Copié.

On revient à l’action courageuse du maire d’Amsterdam, major Eberhard van Der Laan, qui soutient le groupe depuis son arrivée dans la ville, par des actions diverses et des rencontres fréquentes. Le ministre de l’immigration, avec son approche globale et froide, n’est pas apprécié.

Mon reportage a été diffusé les jours précédents, en écho au drame de Lampedusa. J’en ai une copie avec moi. Ils doivent l’écouter. Je leur propose, les observe hocher la tête. A la fin leur regard brille. ‘Elle a fait beaucoup pour nous’ s’exclame Oumar ‘quelqu’un a enfin dit la vérité.’ Cette mission là semble donc un peu accomplie, ma mission de citoyenne, elle, ne fait que commencer.

Après ce long temps d’adaptation, ils commencent à se livrer, petit à petit. L’insécurité dans leur pays, la peur, l’urgent besoin de fuir. L’arrivée aux Pays-Bas, la prise d’empreinte les empêchant d’aller nulle part ailleurs en Europe, la prison, la maltraitance, puis l’errance. Les nuits dehors. Le froid. Les enfants qui jettent des cailloux. Les doigts gelés. Le froid. Le vol de pain et de lait dans une supérette. Le froid et la faim. Les altercations avec la police. On s’arrêtera là.

‘Toujours dire la vérité et ne pas avoir peur’ répète Oumar. ‘Mais je suis choqué. Les Européens ont utilisé nos grands parents pour les sauver, ils les ont emmenés jusqu’ici pour combattre à leur place. Aujourd’hui c’est nous qui avons besoin d’eux, et c’est comme ça qu’ils nous remercient ? Quand ils viennent en Afrique, on les reçoit du mieux qu’on peut, quand on vient chez eux, ils nous ferment la porte aux nez. Quand je pense à ça, je n’arrive pas à dormir. Ils veulent nous donner 4 500 euros pour retourner dans notre pays. Mais gardez votre argent, nous ne sommes pas là pour votre argent. Rentrer chez nous signifie mourir et c’est la seule raison pour laquelle nous avons fui. Ne nous traitez pas comme des animaux, nous voulons simplement travailler et prendre notre vie en main.’ Tout le monde acquiesce, les paroles d’Oumar sont percutantes, son regard haut et fier.

Il est temps pour moi de partir. Je serre les mains une à une, chacun des regards est chaleureux, chacun des visages souriant. Je promets de revenir. Toutes les semaines. Ils me disent à bientôt. L’histoire est en marche. Sonia.

One response to “We are here : Nous aussi, part 1”

  1. lola on 18/10/2013 at 19:59 lola

    L’histoire est en marche et la vie est le chemin…un moment de vie comme tu les aimes ma So, merci pour ce partage.
    Loves

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