‘Programme pour l’éducation des enfants en détresse’, Françoise Pinzon-Gil

‘Nous avons quitté Caracas et, installés dans les Andes, j’ai rencontré par le biais d’amis enseignants un monde de solidarité, de volonté de changer un monde injuste, d’instaurer moins de souffrance. Je m’étonne des chaussures coupées au bout portées par nombre d’enfants des écoles primaires (une nouvelle mode inconnue en Europe ?) et découvre l’impossibilité pour les parents d’acheter de nouvelles chaussures, de nourrir les enfants hormis la cantine scolaire. Et un immense engagement des enseignants et travailleurs sociaux.

Après une année passée au Venezuela, année formatrice et enrichissante, j’ai décidé de rentrer en France et retrouver mon poste à l’UNESCO. A mon retour, j’ai abordé mon travail sous un éclairage différent, et, au fil des années ai évolué dans des postes toujours plus proches du terrain et des problèmes des femmes et des enfants, et des populations exclues. En 1996 (soit 25 ans après mon entrée à l’UNESCO), j’ai repris la direction du « Programme pour l’éducation des enfants en détresse ». J’ai eu la chance de pouvoir faire coïncider ma formation, mon expérience et mes convictions : lutter contre l’injustice, donner une voix à ceux qui n’en ont pas. Pour cela, il fallait convaincre des donateurs privés (entreprises, sportifs de haut niveau, personnalités du monde des arts) de financer des projets de terrain visant, par le biais de l’éducation, à offrir une chance aux enfants exclus (enfants de la rue, enfants prostitués, enfants victimes de la guerre, enfants malades du cancer ou du sida, enfants réfugiés climatiques, etc.). Partager la vie de ces enfants, des directeurs/fondateurs de projets de terrain a constitué une expérience fascinante. Le Programme, grâce aux 34 millions de $ collectés, a permis de financer plus de 400 projets de terrain dans 97 pays du monde.

Ce fut une expérience extraordinaire. Je devais identifier les projets de terrain viables, ayant fait la preuve de leur solidité, leur durabilité, l’utilisation transparente de leurs fonds. Une fois convaincue de leur qualité, les aider à se développer par un soutien financier et nos conseils techniques. Puis, année après année, revenir pour constater les progrès et l’impact réel sur la vie des enfants, corriger éventuellement certaines décisions. Chaque moment partagé avec les enfants, les éducateurs a constitué un bonheur et un honneur. Il est difficile d’expliquer comment et pourquoi on se sent « à sa place » dans les situations les plus difficiles, les plus inacceptables. C’est une alchimie très personnelle. Il ne s’agit pas seulement d’empathie, de compassion. C’est un mélange d’énergie féroce pour changer une situation insupportable, et de proximité envers ceux qui souffrent. Aucun, absolument aucun enfant ne choisit de naître ou de vivre dans la rue.

J’ai eu la grande chance, dans le cadre du Programme, de connaître, travailler et nouer des liens de confiance et d’amitié avec des personnages aussi charismatiques que l’Abbé Pierre et Sœur Emmanuelle. J’ai été fascinée par leur très grande simplicité, la force de leur révolte, de leur engagement, leur compréhension des plus démunis, leur foi en la capacité de l’homme à se sortir de la misère lorsque les moyens (essentiellement l’éducation) leur en sont donnés. J’ai constaté le travail de Sœur Emmanuelle avec les « zabaleen » (chiffonniers) du Caire, où elle a laissé un souvenir impérissable. Le quartier de Mokkhatam, autrefois une immense décharge d’ordures, est devenu un quartier vivant, propre, bouillonnant d’activités. Une idée simple : partir du savoir-faire des chiffonniers (collecter les ordures) pour introduire la notion nouvelle (et rentable) du tri et du recyclage. Pour recycler, par exemple fabriquer des lirettes à partir de chutes de tissu récupérées, il faut savoir compter en centimètres, donc lire. L’éducation peut faire irruption au milieu des ordures ! La demande, demande d’éducation, de vie meilleure, est là. Il faut trouver le point d’entrée. Depuis, les « chiffonniers » du Caire contribuent au niveau municipal à la collecte, le tri et le recyclage des ordures. Leurs enfants vont à l’école et ont des projets de vie. Un exemple parmi d’autres.

Une autre rencontre extraordinaire : Sa Sainteté le Dalai Lama, à Dharamsala. Le Programme avait financé la construction d’un internat d’une capacité de 300 enfants environ, réfugiés du Tibet. Ces enfants y recevraient une éducation « moderne », en leur permettant de vivre dans l’esprit et la culture tibétains. Entourés d’excellents professeurs indiens, cette rencontre était une fois encore exceptionnelle. Des enfants séparés de leurs parents, solidaires et conscients de la chance qui leur était offerte d’étudier pour choisir leur avenir, tout en maintenant leur culture et leur religion. Il est évident que je n’étais pas là pour « évaluer » les résultats de l’internat en termes d’éducation, indéniables, mais une fois encore pour renforcer la conviction que toute culture, toute spiritualité doit s’exprimer. La rencontre avec le Dalai Lama a été une fois encore un moment extraordinaire de « privilège » et de complicité. J’étais certes impressionnée, mais pas pétrifiée. Son humanité une fois encore a tout aplani.

Quelques souvenirs plus « terrains », doux ou violents:

–          Le Bhoutan, où le Programme a contribué à rénover le plus ancien Monastère, Dechen Phodrang. Un pays où le Bonheur Brut est calculé à l’aune du PNB. Un pays d’une beauté rare, où l’harmonie règne en maître.

–          La Mongolie et son mode de vie nomade superbement chaleureux, familial, communautaire en harmonie totale avec une nature … qui aujourd’hui enchaîne sécheresses et hivers rigoureux qui déciment les troupeaux

–          Le Guatemala, où 28 veuves mayas de la guerre civile (maris tous tués le même jour dans les champs) ont peu à peu mis sur pied une coopérative de tissage traditionnel, dans le respect total de la cosmogonie maya

–          Le Libéria, où d’ex-enfants soldats ont bien voulu se confier, raconter l’inacceptable, nous accompagner sur le chemin de la compréhension qui mène à l’apaisement

–          L’Afghanistan, fascinant, où j’ai partagé des moments privilégiés avec des poètes, conteurs, musiciens, joueurs d’échec émérites, femmes magnifiques travaillant dans un orphelinat qui, après avoir relevé leur burka en ma seule présence, révèlent un maquillage extravagant digne de Dalida, et qui avec une abnégation insoupçonnable jouent le rôle d’enseignante, de mère, de « pourvoyeuse » d’amour auprès de centaines d’enfants abandonnés par obligation dans un pays rongé par les extrêmes.’

 Après cette période de vie d’une grande intensité, nous partagerons avec Françoise, dès jeudi prochain, les changements personnels et professionnels qui ont enrichis sa personnalité. Ces décisions de bouleversements profonds, sont souvent à l’origine de nos mutations les plus intimes.

2 commentaires pour “‘Programme pour l’éducation des enfants en détresse’, Françoise Pinzon-Gil”

  1. Franco le 1/04/2012 à 08:41 Franco

    Too many compliments and not enough space…very inspiring engagement, thanks!

  2. Camille le 5/04/2012 à 12:08 Camille

    On est submergé par cette action humanitaire si grande que réalise Françoise. Merci de nous ouvrir les yeux et continuer à le faire.
    Camille

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